Enfant de Pleudihen, le caporal Émile Bouétard est tombé aux premières heures de l’Opération Overlord dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Il n’avait pas trente ans et n’avait jamais accepté la reddition de sa patrie. Avec 15 autres Pleudihennais, il avait répondu à l’appel du général de Gaulle. François SOUQUET nous relate sa vie…
Un enfant de Pleudihen.
Émile Bouétard naît le 4 septembre 1915 à Pleudihen, à l’époque dans les Côtes-du-Nord. Il est le sixième enfant d’une famille de sept. Il fait ses études primaires à l’école publique de Pleudihen et obtient son certificat d’études, en juin 1928. Il a douze ans et demi et, pour lui, les études sont terminées. Il est employé quelques mois dans une ferme et s’engage dans la marine marchande. A treize ans et cinq mois, Émile est “Inscrit provisoire” au quartier maritime de Dinan. Plus tard, il est engagé par la “Compagnie Générale Transatlantique”. Il navigue comme matelot à partir de juin 1934.
Le service militaire, puis la mobilisation…
Septembre 1935, Emile Bouétard a maintenant vingt ans et est appelé sous les drapeaux. Il embarque successivement sur le torpilleur d’escadre Frondeur et sur le contre-torpilleur Vauban. Libéré du service militaire après avoir passé trente mois dans la marine nationale, il rejoint ses foyers en mars 1938. Il retrouve alors son ancienne compagnie et reprend la navigation au long cours. En août 1939, les événements se précipitent en Europe. La France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre. Mobilisable et ayant reçu sa feuille de route, Émile rejoint le 2ème dépôt des équipages de la flotte, à Brest, le 29 novembre. Il reste un mois à Brest, avant d’être affecté sur le pétrolier La Garonne. Débarqué de la Garonne en mars 1940, il est alors affecté à la base française de Beyrouth (Liban), à partir du 1er mai. L’armée allemande a envahi la France, le maréchal Pétain a demandé l’armistice. En août 1940, Émile est de retour en métropole. Démobilisé en septembre, il retrouve sa famille alors que Pleudihen est occupé par les Allemands depuis le mois de juin
L’engagement…
Toute l’année 1941, Émile séjourne à Pleudihen où il travaille dans les fermes. Pleudihen étant proche du « Festung Saint-Malo » (la forteresse), les Allemands y sont en nombre. Émile ronge son frein en croisant l’occupant. Il n’accepte pas la défaite de la France et refuse l’occupation. Il connaît “l’appel” du général de Gaulle et, au fil des mois, sa conviction de rejoindre les Forces Françaises Libres, s’affermit. Il contacte son ancienne compagnie de navigation et réussit à obtenir un laissez-passer en zone libre pour gagner Marseille. Le samedi matin 24 janvier 1942, il quitte sa maison familiale et gagne Marseille par le train. Il ne reverra jamais les siens…
De Marseille, il rejoint Casablanca. Le 3 avril, il est muté sur le cargo mixte Ile de Ré en partance pour les Etats-Unis. Le 8 novembre 1942, le navire étant en escale à La Nouvelle Orléans, Émile “déserte” le bord avec l’intention de rejoindre l’Angleterre. Après un long périple, il arrive en Grande-Bretagne le 13 janvier 1943, un an après avoir quitté Pleudihen.
Dès son arrivée en Grande-Bretagne, Émile est conduit à Londres, à la Royal Victoria Patriotic School, passage obligé de tous les volontaires venus de l’étranger pour continuer la lutte. Le 23 février 1943, il signe son engagement dans les « Forces Françaises Libres » (F.F.L.). Apprenant que l’on cherche des volontaires parachutistes, il s’engage dans les « Forces Aériennes Françaises Libres » (F.A.F.L.) deux jours plus tard, le 25 février.
… et l’entraînement.
Émile Bouétard rejoint donc l’Infanterie de l’Air à Camberley. Le lieutenant Pierre Marienne, qui arrive à la même époque, prend le commandement d’une nouvelle section. Marienne voulant créer une section d’élites, choisit très sévèrement ses hommes parmi les volontaires les plus déterminés. Émile Bouétard est un des premiers parachutistes à être admis dans sa section.
En avril 1943, Emile est envoyé en stage à l’école de la 1ère Brigade Indépendante de Parachutistes Polonais à Largo, au sud-est de l’Écosse. Là, il reçoit une préparation au brevet de parachutiste. Ensuite, il rejoint la Parachute Training School de Ringway, près de Manchester, d’où il sort breveté parachutiste, à la mi-mai 1943.
A la mi-juin, il part en stage commando près de Fort William en Écosse. La section Marienne rejoint Sherburn in Elmet, dans le Yorkshire. Elle se porte volontaire pour essayer de nouveaux équipements et pour mettre au point de nouvelles techniques de saut. Le training à Sherburn est difficile, souvent risqué, mais captivant. Pour la première fois, les parachutistes français ont à leur disposition les moyens qui leur faisaient défaut. Le samedi 23 octobre 1943, Emile Bouétard est l’un des vingt parachutistes français qui établissent le record du monde de vitesse de saut, en groupe, détenu jusqu’alors par les Américains. A partir d’un Douglas, les Français s’éjectent en 7 secondes 5/10 et atterrissent sur 425 yards (389 mètres).
Des F.A.F.L. au Commando S.A.S.
Début décembre 1943, à la fin du stage, la section d’Émile Bouétard rejoint ses nouveaux quartiers à Cupar.
Le 11 janvier 1944. Les deux bataillons français (3ème et 4ème B.I.A.) sont intégrés à la S.A.S. Brigade du brigadier McLeod, rattachée aux troupes aéroportées britanniques.
A la fin du mois de janvier 1944, les deux bataillons rejoignent le camp de Cumnock, au sud d’Auchinleck, en Écosse. Là, Émile suit un entraînement de commando très spécifique, celui des S.A.S.. Les hommes s’entraînent jour et nuit dans des conditions météorologiques très rudes.
Les derniers préparatifs
Le 22 avril 1944, le général Montgomery confirme que la S.A.S. Brigade sera engagée dans les premiers, le jour J. A la fin du mois de mai, le 4ème Bataillon est transporté par train vers la base de Fairford, dans le Gloucestershire. Les parachutistes y sont maintenus au secret, avec interdiction de communiquer avec l’extérieur.
Le 1er juin, le commandant Bourgoin, chef du 4ème Bataillon, annonce la mission à ses officiers. Quatre sticks (groupes de parachutistes) précurseurs, aux ordres des lieutenants Marienne, Déplante, Botella et Deschamps, seront parachutés en Bretagne dans la nuit précédant le débarquement. Ils devront prendre contact avec la Résistance et créer des bases pour recevoir, dans les jours suivants, les renforts nécessaires pour fixer les troupes allemandes stationnées en Bretagne, afin de les empêcher de faire mouvement vers la zone du débarquement. Les sticks de Pierre Marienne, nom de code « Pierre 1 » et de Henri Déplante, nom de code « Pierre 2 », sont chargés de créer la base « Dingson », près de Saint-Marcel, dans le Morbihan. Les sticks d’André Botella, nom de code « Pierre 3 » et de Charles Deschamps, nom de code « Pierre 4 », sont chargés de créer la base « Samwest », près de Locarn, dans les Côtes-du-Nord.
Le lieutenant Pierre Marienne choisit parmi ses meilleurs hommes, en qui il a une confiance absolue, les parachutistes qui sauteront avec lui en Bretagne. Trois radios du bataillon accompagneront le stick. Émile Bouétard apprend qu’il est retenu pour accompagner son chef. Il a réussi à être des premiers ! Le parachutage est prévu pour le soir du 4 juin et le débarquement, le 5 juin à l’aube sur les côtes normandes.
Le soir du dimanche 4 juin, les parachutistes sont conduits en camions à l’aérodrome pour le grand départ, quand l’ordre est donné de rejoindre le camp. L’opération est reportée en raison de la mauvaise météo. Le débarquement aura lieu le 6 juin.
5 juin 1944 : décollage pour la France
A 21 heures, le lundi 5 juin 1944, le lieutenant Pierre Marienne regroupe ses hommes : le sergent-chef Loïc Raufast, les caporaux Émile Bouétard et François Krysic, le 1ère classe Jean Contet et les radios Pierre Etrich, Louis Jourdan et Maurice Sauvé. Ils sont rejoints par le capitaine S.O.E. André Hunter-Hue qui est, lui aussi, du voyage. Sur le tarmac, à bord de deux quadrimoteurs, les équipages se préparent à transporter vers la Bretagne les trente-cinq premiers parachutistes du Jour J. Les sticks de Botella et de Marienne embarquent dans le premier avion, les sticks de Déplante et de Deschamps embarquent dans le second. C’est par mesure de sécurité qu’un stick de chaque objectif embarque dans un même avion. Si l’un des avions était abattu, les deux bases pourraient être créées, même avec un effectif réduit. Les deux quadrimoteurs s’ébranlent, roulent sur le tarmac, s’engagent sur la piste, prennent de la vitesse et décollent. A Fairford, il est environ 23h00, soit 21h00, heure solaire.
22h35, il retrouve sa Bretagne pour la libérer.
Une heure et trente minutes de vol pour atteindre la première “dropping zone” (“DZ” pour zone de larguage) de Saint-Ugat, près de Plumelec, dans le Morbihan. Il est environ 22h35, heure solaire, quand l’ordre ” go! ” est donné. Tout se passe très vite, l’officier S.O.E. pousse une malle d’osier devant lui et disparaît dans la nuit. Suivent : Marienne, Raufast, Jourdan, Etrich, Sauvé et Krysic. Émile, à son tour, s’élance dans le vide, suivi aussitôt par Contet.
Le stick a été largué à deux kilomètres plus au nord-est que prévu, dans l’ouest de Plumelec, sur les terres du hameau Le Halliguen. En fait, pas très loin de la DZ prévue de Saint-Ugat, l’erreur ne paraît pas importante… Seulement, les renseignements britanniques ignoraient que, sur la proéminence située immédiatement au sud du bourg de Plumelec, le moulin de la Grée sert d’observatoire aux Allemands. L’alerte est donnée.
Un combat inégal s’engage.
Au sol, les parachutistes se regroupent rapidement. Le matériel est récupéré, mais il manque la « malle » du capitaine André Hunter-Hue, contenant 100.000 francs et son uniforme. Le “capitaine André” a sauté en tenue civile car il est chargé de faire la liaison avec la résistance locale. Pierre Marienne ordonne à Émile Bouétard de rester sur place pour couvrir les radios, pendant que lui-même et le reste du groupe partent à la recherche de la malle.
Une demi-heure après avoir touché le sol, le groupe d’Émile Bouétard est assailli par un détachement de “Russes blancs”, surgissant à travers les champs du secteur nord. S’apercevant de la situation, Émile s’éloigne d’une quinzaine de pas pour couvrir les deux radios. Couché à l’abri d’un tronc d’arbre, il distingue l’ennemi dans la pénombre et engage le combat. Il vide un premier chargeur et réapprovisionne rapidement. Il s’aperçoit tout de suite que le combat est inégal, mais l’action va permettre à son chef de s’échapper.
Marienne, Hunter-Hue, Contet, Raufast et Krysic ont également repéré l’ennemi. Eux aussi se rendent vite compte que l’ennemi est supérieur en nombre et en moyens. Ils décrochent avant d’être encerclés afin de ne pas compromettre la mission.
Emile Bouétard est assassiné.
Émile et les trois radios restent seuls, face à la horde qui déferle de toute part. Émile tire sans discontinuer. Il se bat avec rage. Repéré, les balles l’entourent. Débordé par la horde ennemie, Émile se lève pour tirer avec plus d’efficacité. Une rafale l’atteint à l’épaule. Sa Sten (fusil automatique) lui échappe des mains. Il s’écroule. En se traînant au sol, il tente de rejoindre ses compagnons, souffrant en silence. Pendant ce temps, les trois radios vident leurs derniers chargeurs et lancent leurs grenades sur l’ennemi. Jourdan, le plus éloigné, est capturé le premier et les deux autres compagnons d’Emile, encerclés et à cours de munitions, se rendent. Le combat a duré moins de vingt minutes.
Les prisonniers, sous la menace d’armes automatiques, sont fouillés avec une grande brutalité, attachés avec les suspentes des parachutes et dépouillés de tout ce qu’ils ont sur eux. Émile appelle à l’aide ; des “Russes blancs”se déplacent vers lui et l’un d’eux le retourne d’un coup de botte et l’assassine en lui logeant une rafale dans la tête. Il est environ 23h30 heure solaire, à Plumelec, ce lundi 5 juin 1944. Il est environ 1h30 pour les Alliés, ce mardi 6 juin 1944.
Mort pour l’honneur de la France, pour l’amour de sa patrie et de sa famille.
Émile Bouétard avait retrouvé sa patrie pour la libérer. Il est le premier mort français du Jour-J. Par son engagement, son sens du devoir et sa bravoure, il a œuvré à notre libération et contribué au rayonnement éternel de la France. Il repose aujourd’hui dans sa terre natale de Pleudihen-sur-Rance. À Plumelec comme à Pleudihen, des monuments lui sont dédiés. Une rue Émile-Bouétard a été inaugurée en 2009 à Plouguernével (Côtes-d’Armor).
PLUMELEC, un monument là où il est passé à la postérité.
C’est à proximité du lieu de l’accrochage, au village Le Halliguen, qu’est inauguré le 8 juin 1980 un monument à la mémoire d’Émile Bouétard. A l’occasion, une allocution fut prononcée par le capitaine Déplante, ancien chef du stick « Pierre 2 » et par le maire de Plumelec, M. Guyot. Une place du bourg de Plumelec, inaugurée le 5 juin 1994 à l’occasion du 50ème anniversaire du débarquement, porte le nom : «Place du Caporal Émile Bouétard».
PLEUDIHEN un monument près de l’endroit où il est né.
Le monument à la mémoire d’Émile Bouétard, érigé aux Croix Saiget, non loin de son lieu de naissance, a été inauguré le 21 octobre 1984 en présence d’anciens S.A.S. et d’une assistance nombreuse. Cinquante-deux drapeaux, dont celui des S.A.S. Ouest Bretagne porté par Louis Le Floch, camarade d’Émile Bouétard et celui des maquisards de Plumelec, rendirent hommage au disparu.
Retour sur quelques commémorations marquantes…
Pour en savoir plus sur les Français engagés comme Emile Bouétard dans le Spécial Air Service en 1944.
Last modified: 3 novembre 2019
[…] Notre article consacré à Emile Bouétard, héros du D-Day. […]